Page précédente

Sommaire général

Retour sommaire rapport

Plan du site

Page suivante

Rapport "Chevaux de trait : le retour ?"

III. APERÇUS REGIONAUX :
BOURGOGNE ET BASSE-NORMANDIE

b. Basse-Normandie

1. Introduction

La région Basse-Normandie, berceau de deux races

Pour présenter rapidement la place du cheval de trait en région Basse-Normandie, nous soulignerons quelques points particuliers.

Si d'autres régions développent sur leur territoire l'élevage de plusieurs races de trait, la Basse-Normandie offre la particularité d'être le berceau de deux d'entre elles : cob normand et percheron, dont les politiques de développement sont prises respectivement en charge par les Haras nationaux de Saint-Lô et du Pin. Cette richesse singulière, sujet d'étude en soi, nous inviterait à conduire un travail comparatif à l'échelle de la région sur chacune des hypothèses qui se dégagent de cette étude préliminaire et que l'on peut résumer à cette observation : autour de ces races se développent deux cultures d'élevage distinctes. La compétition entre les deux races pour conquérir le marché de l'attelage semble stimulante d'autant qu'elle engage chacun à produire une image propre à celle qu'il représente : le percheron, emblème du cheval de trait, misant sur le prestige et la puissance quand le cob normand, par sa proximité avec le cheval de sang, joue le sport et l'élégance. Autre singularité des races présentes sur le territoire normand : tandis que le percheron appuie sa réputation sur une longue histoire, le cob normand est au contraire une race sortie in extremis de l'oubli, qui fit sa réapparition officielle en 1982 évitant de justesse la disparition après que son stud-book ait été fermé en 1956.

Que l'on considère maintenant l'histoire récente du cheval de trait : ses temps forts, tellement importants dans la compréhension des événement actuels et des positions prises par les uns et les autres, sont le lot de toutes les races. Comment s'est-elle traduite en Normandie ? En 1979, date du deuxième plan gouvernemental de relance de la production chevaline, la Basse-Normandie offre à l'élevage du cheval lourd un contexte dans lequel seule la production de viande sera soutenue. Les autres débouchés - vente des reproducteurs, attelage de sport, loisir ou travail - demeurent marginaux. Pour prendre en charge la relance de la production chevaline, les éleveurs créent le Syndicat des éleveurs de chevaux lourds de la Manche, puis l'Association pour la Relance du cheval lourd et s'organisent en groupements de producteurs. Dès 1983, tandis que la politique de relance a des effets concrets et positifs sur l'élevage du cheval lourd, le marché de la viande reste obstinément fermé à la production nationale confrontée aux importations en provenance notamment des pays de l'Est. D'une année sur l'autre, la situation ne fait que s'aggraver. Les foires, même les plus grandes comme celle de Lessay, sont moroses et les groupements de producteurs s'effacent. En 1985, il n'en reste plus qu'un dans le paysage bas-normand, autour duquel la profession s'est resserrée : SICA PROVINOR. L'orientation bouchère, qui s'avère alors promise à l'échec, a exigé du milieu des éleveurs un intense effort d'adaptation se soldant à brève échéance par une nouvelle remise en cause. D'autres modes de valorisation sont à nouveau considérés afin de promouvoir la production et lui créer un débouché.

En 1989, le Congrès mondial du cheval percheron, en 1990 le Festival régional du cheval de trait à Vire et en 1991 la Route du poisson sont trois évènements qui font date : rompant avec la situation antérieure, dominée par le doute et le tatônnement, ils marquent l'ouverture d'une nouvelle période, résolument orientée sur l'attelage. En Basse-Normandie, certaines structures nées du mouvement de relance de la production chevaline, se sont transformées et jouent désormais un rôle tout à fait central dans la politique de dynamisation de la production et d'utilisation du cheval de trait à l'attelage : il s'agit, par exemple, d'un organisme aussi original et capital que Trait Normand, créé en 1982 sous le nom d'Association pour la relance de l'élevage du cheval lourd en Normandie, du Syndicat du cob normand créé en 1982, ou encore, du Syndicat des éleveurs de chevaux lourds de la Manche devenu Syndicat des éleveurs de chevaux de trait (cf. fiches). C'est au début des années 90 que ces structures accomplissent leur métamorphose, changeant d'intitulé et, parfois aussi, de présidence. Se profile alors une des caractéristiques de la situation actuelle : la disparition d'une forme de monopole du cheval de trait exercé par la profession agricole au profit d'hommes étrangers au monde de l'élevage qui prennent en charge des structures de décision et promeuvent de nouvelles utilisations d'une production animale jusque là agricole. L'orientation sur l'attelage dans les années 90 génère l'apparition de nouvelles structures qui achèvent d'énoncer la diversification sociale des acteurs réunis autour du cheval de trait : les associations d'attelage de l'Orne et du Calvados, toutes deux nées de l'événement fondateur que fut la Route du Poisson. (Lizet, 1996) (fiche " Nouveaux acteurs ").

Enfin, selon les données recueillies par le Conseil des chevaux de Normandie, si le constat d'une moyenne d'âge élevée des éleveurs de chevaux de trait n'est ni surprenant ni original (44% sont à la retraite, 53% ont plus de 60 ans et 31% ont entre 41 et 59 ans), plus significatif est le fait que 14% d'entre eux se situent hors profession agricole, phénomène récent lié au développement de l'attelage. Le CCN, à l'issue de son enquête, déplore un éparpillement des responsabilités entre les différentes structures organisant ces éleveurs et l'absence de lisibilité de la filière qui pourrait être le reflet d'un certain manque de professionnalisme. Il regrette encore que la production ne soit pas toujours adaptée à la demande (soit en quantité, soit du fait de défauts d'allures, par exemple), observe le peu d'organisation d'un marché resté traditionnel (foires, marchés, contacts individuels, annonces) ainsi que la timidité d'une politique de communication demeurant interne au milieu des éleveurs ; autant de signes d'une tendance du milieu à être fermé sur lui même.

Les fiches

Les informations présentées ici sous forme de fiches sont reprises à une étude réalisée à la demande du CRéCET [Centre régional de culture ethnologique et technique de Basse-Normandie] au début de l'été 1998 (mai et juin) dans le but d'évaluer la faisabilité d'une recherche sur le cheval de trait en Normandie. Initialement, l'étude se proposait de dessiner les contours de la situation actuelle en identifiant les organismes qui structurent le monde du cheval de trait et leurs principales activités. Ceci contribue à expliquer la part importante offerte, dans notre corpus, aux fiches présentant les acteurs. Cette part a été, par la suite, délibérément maintenue dans cette proportion parce qu'il paraît essentiel de bien se représenter le paysage humain et de le placer en toile de fond des actions menées.

Les fiches proposées se répartissent en deux catégories équitablement représentées, l'une présentant des acteurs, l'autre des actions. Elles ne sont, ni l'une ni l'autre, exhaustive et, à titre d'exemple, il manque parmi les acteurs deux syndicats d'éleveurs - Ornais et Augeron - mais aussi des associations tandis que, pour ce qui concerne les actions, leur foisonnement ne permettait pas de les saisir toutes et ce ne sont pas nécessairement les plus visibles qui ont été retenues. En effet, l'objectif ne visait pas l'exhaustivité mais une représentativité qui tout à la fois témoigne de façon pertinente de la situation actuelle et laisse apparaître ce qui est en germe. C'est pourquoi, par exemple, nous avons choisi de présenter ici certaines opérations qui en sont à leur balbutiement, voire parfois dans la phase de concrétisation de ce qui n'est déjà plus tout à fait un projet mais pas encore à proprement parler une action en cours : parce qu'elles disent le dynamisme des acteurs, la projection dans l'avenir et les directions dans lesquelles celui-ci est orienté.

Le lot des fiches qui présentent les acteurs pose le paysage humain. Au fil de l'histoire de ceux qui sont présentés on peut toucher du doigt la rapidité et le caractère parfois radical de l'évolution récente, dont il a été question ci-dessus et qui est une donnée essentielle à la compréhension de la sensibilité et du caractère un peu indécis de la situation actuelle. L'ordre de présentation de ces acteurs reprend l'échelle à laquelle ils opèrent : il va de l'échelon national à l'échelon régional, puis départemental et local. Les Haras Nationaux sont présentés les premiers, en tant qu'instances nationales relais d'une politique qui englobe les neufs races de chevaux de trait. Viennent ensuite les deux syndicats de race, nationaux et concernant chacun une des races dont la région Basse-Normandie est le berceau. Les instances régionales précèdent les instances départementales, et, à tous échelons, le critère de l'ancienneté est venu déterminer l'ordre de présentation : qui place le syndicat de race du percheron devant celui du cob normand et les syndicats d'éleveurs devant les associations d'utilisateurs.

D'ores et déjà, dans ce premier lot de fiches consacrées aux acteurs, les actions conduites par les uns et les autres (exposées au 8ème point de chaque fiche) permet de s'en faire une vue d'ensemble et dresse un bilan assez éloquent de leur relative diversité. Une fiche est, de façon tout à fait singulière, caractéristique du dynamisme du mouvement en cours autour du cheval de trait : tout à la fois fiche acteur et fiche action, et pour cette raison placée à l'articulation de deux catégories de fiches, elle présente " La ferme de la Michaudière ". Dans un ancien bâtiment de ferme rénové, Jean Dinard dresse des chevaux percherons, cobs normands et postiers bretons et réalise avec ceux-ci de grands spectacles de cirque et de cascades. Initiative originale, on peut observer qu'elle fut montée en dehors des réseaux existants, que ceux-ci ne l'ont pas prévue et ne sont pas en mesure de l'intégrer. Réciproquement, le concepteur de la Ferme de la Michaudière, M. Dinard, reste délibérément à une certaine distance de ces réseaux. Quoique activement inscrit dans les syndicats des races qu'il utilise, il ne se sent pas défini exclusivement par le monde du cheval de trait, mais tout autant intégré, par exemple, dans le monde du spectacle : expression claire du renouvellement en cours de la population directement concernée par la production du cheval de trait, de l'ouverture qu'elle demande et qu'elle entraîne, et du bouleversement des structures en cours, certes, mais qui demeure toutefois un peu en deça du mouvement social enregistré.

Pour approfondir le sujet, un nombre équivalent de fiches a ensuite été dédié aux actions. L'attention a porté particulièrement sur celles témoignant des tendances et dynamiques actuelles, reflétant parfois certaines tensions (fiche " Création du type diligencier "). C'est ainsi que sont présentées ensemble des actions qui en sont à leur début (fiche " Programme de labellisation ") voire leurs balbutiements (fiche " Formation de meneurs ") et d'autres représentatives d'une tendance forte et bien ancrée (fiche " Route des chevaux et des terroirs " et, dans un autre registre, " Concours local de Vallon-sur-Gée ", par exemple). Parfois quelque peu distinctes selon qu'elles portent sur le cob normand ou sur le percheron (cf. fiches haras nationaux et syndicats de race) toutes ces opérations rendent compte de la réalité bas normande, dans laquelle se font sentir les tendances nationales et régionales qui travaillent à organiser la filière " trait " et homogénéiser la conduite d'une politique commune à son endroit, mais dans laquelle aussi apparaissent des particularismes, des singularités manifestes qui nous engagent à penser que chacune des deux races voit se développer autour d'elle une culture d'élevage qui lui est propre.